La soirée s'était d'abord annoncée catastrophique. Anise, qui n'avait déjà pas tellement l'habitude de sortir en groupe, avait dû décliner trois invitations à des soirées de débauche pour pouvoir passer la soirée avec Zéké, mais ce dernier était finalement de sortie. Elle l'avait regardée, les yeux tristes, sortir de l'appartement, mais il n'avait pas flanché. Et puis, maintenant, elle ne pouvait plus aller aux soirées qu'elle avait décommandé. Elle était bien trop timide pour se rendre à une fête où elle n'était plus invitée. Elle soupira en jetant un regard à sa fenêtre, admirant le magnifique coucher de soleil. La nuit serait belle, autant en profiter. Elle sortit son téléphone, hésita. Qui appeler pour partager ce moment ? Elle ne jeta même pas un regard sur son répertoire et jeta négligemment son téléphone sur son lit. Ce soir, elle ferait cavalier seul. Prise dans sa nouvelle vie, ses nouveaux amis, ses nouveaux projets, elle n'avait pas eu le temps d'être seule depuis un trop long moment. Et dire qu'avant, la solitude représentait son quotidien... Elle secoua la tête pour chasser ses mauvaises pensées et fila sous la douche, qui fut rapide. Zéké avait pris toute l'eau chaude. Elle hurla, se contorsionna avant de sortir pour s'enrouler dans la serviette chaude qu'elle avait posé sur le radiateur. Il lui revaudrait ça ! Elle ouvrit rapidement sa penderie, hésitant rapidement avant de porter son choix sur une robe d'été bleu lagon, qui soulignait sa taille fine. Elle était mince, elle le savait parfaitement. Quoiqu'elle fasse, elle était incapable de grossir. Etant, en plus de cela, petite — ou plutôt, moins grande que les autres —, on la comparait souvent à une petite fée virevoltante lorsqu'elle était de bonne humeur et qu'elle sautillait partout. Le choix des chaussures fut également aisé : June avait réussi à lui dégoter une paire de bottines en fausse fourrure — même les grands noms s'y mettaient, au respect des espèces —, avec des lanières un peu partout ; on aurait un peu dit des bottes d'indienne, mais d'une indienne de 2212. Aucun gilet, la chaleur se faisait sentir partout : la nuit le serait tout autant.

En sortant, elle hésita d'abord à aller à Central Park. La nuit, l'endroit était féérique, et elle connaissait ce parc par coeur avec le temps : elle s'y rendait tout le temps, depuis toujours. Elle marcha longuement sur la Cinquième Avenue, admirant les vitrines, avant de dériver vers de plus petites avenues, puis aux grandes rues, avant de tomber sur un pub sorti de nulle part. Loin d'être traditionnel, celui-ci était carrément classe. Les habituels tabourets en bois avaient été remplacés par de grands tabourets en inox, dont chaque siège possédait un coussin confortable. De petites tables plus intimes se déroulaient un peu partout, et certaines tables étaient complètement cachées. La musique était douce, à un volume bas. Elle entra, charmée, et posa son sac en cuir par terre en montant sur un des tabourets du bar. Un serveur vint rapidement. Jeune et enthousiaste.

« — Un mojito, s'il vous plaît. »

Finalement, elle appréciait la solitude. Elle se sentait renaître, comme si finalement une part d'elle avait toujours voulu être toute seule. Un petit sourire se forma sur ses lèvres alors qu'elle se préparait déjà à passer des heures, une fois son mojito terminé, à déambuler dans New York. Néanmoins, elle était tellement changeante ! Elle voulait attirer les regards, montrer à tout le monde qu'elle existait mais, d'un autre côté, dès que ces regards se posaient sur elle, elle les fuyait et se recroquevillait dans sa carapace. Cela faisait bien trop longtemps qu'elle vivait un véritable paradoxe. Et ça l'étouffait complètement.

Son mojito fut finalement servi, et elle en prit une longue gorgée. Elle adorait cet alcool, rafraîchissant et exotique. La fraîcheur lui fit du bien alors qu'elle sentait encore cette chaleur tardive provenant de l'extérieur. La ville elle-même semblait en effervescence. La cloche de l'entrée sonna, mais elle ne se retourna pas. Elle se dit que le ou les visiteurs avaient dû être également charmés par la beauté du lieu. Néanmoins, son coeur loupa un battement lorsqu'elle remarqua qu'on tirait le tabouret d'à côté. Une putain d'impression de déjà-vu.

Au début, Anise n'osa pas se tourner vers le jeune homme qui venait de s'asseoir à côté d'elle. Cette situation lui rappelait vaguement celle qu'elle avait vécue, deux ans plus tôt, dans un bar de l'autre bout de la ville, beaucoup plus miteux et mal fréquenté que celui-là. Plus bruyant, également. Un petit sourire naquit sur ses lèvres mais, lorsqu'elle entendit le jeune homme commander, son visage se figea complètement et son coeur cessa complètement de battre pendant deux secondes. Cette voix, elle la reconnaissait parfaitement. Elle se mordit violemment la lèvre inférieure, luttant pour ne pas se tourner vers lui. Declan. Declan Harrison.

▬ Euh , Salut ! J'm'appelle Declan Harrison . Ca ne vous gêne pas que je sois assis à côté de vous ?

Est-ce qu'il se foutait d'elle, là ? Il la draguait. Exactement comme il l'avait fait deux ans auparavant, et exactement comme si elle était une fille qu'il venait à peine de rencontrer. Enfin... Elle s'était imposé cela à elle-même, finalement, elle ne pouvait pas le blâmer d'être parti car elle ne l'avait pas retenu. Elle n'avait que dix-sept ans, et il en avait vingt-quatre. Comment lui dire qu'elle était mineure alors qu'il était si adorable et qu'il lui plaisait tant ? Et puis, elle était plus mature que les filles de son âge, alors après tout pourquoi le lui dire ? Si il avait su qu'il était avec une mineure, il aurait sûrement déguerpi et, en plus de ne pas pouvoir le garder, elle n'aurait même pas pu l'avoir un court moment. Apparemment, l'étonnement se lisait sur les traits fins de la jeune fille. Elle s'était attendue à ce qu'il reconnaisse ses prunelles qu'il disait tant aimer, ces deux globes en chocolat qu'il dévorait du regard lorsqu'il posait ses yeux sur elle. Son sourire, peut-être, mais elle ne souriait pas.

▬ Euh Pardon ! Je n'ai pas voulu vous effrayer.

Okay, il ne se foutait pas d'elle, il ne se souvenait vraiment pas d'elle. Elle se tourna de nouveau face au bar, prit son verre entre ses doigts fins et but encore deux longues gorgées de mojito. C'était fou, comme elle aimait cette boisson. Elle resta un court instant inactive, les mains sur son verre, à peser le pour et le contre dans sa tête, avant de boire une nouvelle fois et, enfin, de répondre au jeune homme qui lui faisait des avances.

▬ En tout cas, tu es resté exactement le même. A part quelques rides, évidemment.

Elle tourna son regard chocolat et innocent vers son interlocuteur et en profita pour le scruter. Le coup des rides faisait partie de son humour, et lorsqu'il se souviendrait d'elle, il le devinerait. Parce qu'elle en était persuadée, elle ne l'avait pas totalement oubliée. Impossible. Bien qu'ils n'aient passé que peu de temps ensemble, chaque moment avait été empli de passion et d'affection. On n'oubliait pas aussi facilement quelque chose comme ça. A moins que... Il était vrai que cette « aventure » devait représenter plus pour elle que pour lui, mais elle savait n'avoir pas imaginé la passion qu'elle avait lu dans ses yeux deux ans auparavant. Elle croyait au proverbe « loin des yeux, loin du coeur » mais là, elle était juste en face de lui. Un fin sourire se dessina sur le visage de la jeune fille qui tendit élégamment sa main à Declan.

▬ Anise O'Maley, enchantée.

En plus d'être particulièrement beau — selon la jeune fille—, son prénom était également fort peu commun, et elle doutait fortement que Declan connaisse deux Anise. Elle attendit donc la lueur dans le regard du jeune homme qui lui ferait comprendre que s'il imaginait avoir une « nouvelle » conquête en venant la voir, il se trompait complètement.

Anise avait-elle tant changé ? C'était compréhensible. Elle était passée par beaucoup, en simplement deux ans. Il y avait la danse des foyers juste après le départ de Declan, l'impression de ne jamais pouvoir en sortir. Et puis, il y avait eu Zéké. Ezékiel Wood, qui l'avait prise sous son aile et l'avait même adoptée, bien qu'il soit à peine plus vieux qu'elle. Il l'avait soutenue, l'avait même forcée à s'inscrire à l'université, et avait fait d'elle celle qu'elle aurait toujours dû être. Une jeune fille entourée et appréciée pour ce qu'elle était réellement. Declan n'avait pas connu cette fille-là. Non... Lui, il avait découvert une fille écorchée vive, perdue, sans repères et sans famille, qui avait éperdument besoin d'attention. Et il lui en avait donné, à sa façon. Elle était tombée dans son piège comme toutes les autres filles mais en étant pleinement consentante.

▬ Anise d'il y a deux ans, oui...

Ces mots n'avaient été qu'un murmure. La jeune fille était légèrement blessée de n'être réduite qu'à « une fille d'il y a deux ans ». Il avait été tellement plus pour elle ! Elle ne pouvait pas blâmer les conditions de leur rencontre, elles étaient presque exactement les mêmes. Les mêmes paroles, le même homme... Elle se sentait maintenant légèrement stupide d'avoir cru à son importance alors qu'elle n'était qu'« Anise d'il y a deux ans ». Elle fit mine de ne pas relever qu'il pensait qu'elle n'avait pas changé ; si il le pensait vraiment, il se trompait sur toute la ligne. Elle but une nouvelle gorgée de son mojito, le terminant, et en commanda un second qui arrive aussi vite. Ne rien laisser paraître de sa déception. Après tout, elle avait changé.

▬ Alors... De retour à New York, hein ? J'avoue que je ne m'attendais pas vraiment à te revoir.

Elle avait dit ça sur le ton de la conversation, tournée vers lui, avec un petit sourire sur les lèvres. Elle n'avait rien de mieux, elle avait déjà beaucoup de mal à contrôler sa timidité. Peut-être le fait d'avoir connu Declan auparavant l'y aidait-elle. Comme elle ne s'attendait pas à le revoir ! Elle s'était dit, lorsqu'il avait quitté la ville pour retourner à San Francisco, qu'il ne reviendrait jamais et que, s'il revenait, la ville serait tellement grande qu'ils ne se croiseraient pas. Pour elle, il n'était quelques minutes auparavant qu'un souvenir bien trop persistant qu'elle devait s'efforcer d'enfouir au plus profond d'elle.

Elle se sentit soudain gênée, et but quelques gorgées de son nouveau mojito en observant sceptiquement la salle. Cette dernière s'était remplie à une vitesse hallucinante : absorbée par sa rencontre avec Declan, elle n'avait pas entendu la cloche se déclencher à chaque ouverture de la porte. Presque toutes les places étaient occupées, et les esprits étaient en surchauffe. Surtout celui d'Anise, dont le bourdonnement aux oreilles s'amplifia. Bientôt, elle pourrait discerner quelques « voix », et ces dernières s'entrechoqueraient dans sa tête jusqu'à lui donner une migraine affreuse. Elle prit rapidement son sac par terre en le soulevant par la lanière et en sortit un billet, qu'elle posa rapidement sur la table. Elle se leva, ingurgita la totalité de son mojito en cinq longues gorgées, avant de secouer la tête et de papillonner des paupières. Enfin, elle posa son regard sur Declan, qui ne devait pas y comprendre grand chose. Elle lui adressa un sourire désolé mais plein d'espoir.

▬ Malgré l'étonnement, je suis vraiment contente de t'avoir retrouvé, Declan. Alors... Tu peux finir ta bière ici, ou... me suivre dehors. J'étouffe vraiment, ici.

Elle baissa les yeux un instant, s'étonnant elle-même de ce qu'elle osait dire. Néanmoins, ce n'était pas le moment de rougir jusqu'aux oreilles, et elle se dirigea vers la sortie, espérant que Declan ferait de même. Dès qu'elle passa la barrière de la porte, l'esprit de la jeune fille fut plus clair. Les esprits s'éloignèrent, se mirent à murmurer et finirent par s'éteindre complètement. Elle se rendit ensuite compte que l'alcool qu'elle avait ingurgité ne l'avait pas laissée indemne. Elle en ressentait les effets jusqu'au plus profond de son esprit, mais elle ne se sentait pas bourrée. Elle avait la sensation d'être capable de tout faire, de tout dire. D'être quelqu'un. D'avoir le pouvoir de parler, d'agir, sans avoir peur des conséquences.

Alors que le jeune homme la rejoignait dans la rue, Anise sourit à sa réflexion. Il pensait vraiment qu'elle était mieux que sa bière ? Quelle considération !

▬ Contente de voir que tu connais tes priorités, maugréa-t-elle en resserrant ses bras autour d'elle.

Evidemment qu'elle était vexée, comment ne pas l'être ? Il venait de la comparer à sa bière, quand même ! Elle resta un très long moment silencieuse, marchant sur le trottoir à une distance plus que respectable du jeune homme. Elle pouvait être une vraie gamine et, en l'occurence, là, elle boudait. Elle était tentée de scruter son esprit, mais elle se retint. Son don était parfois bénéfique mais on lui avait dit un jour que toutes les vérités n'étaient pas bonnes à découvrir. Elle en avait le pouvoir, mais n'était vraiment pas sûre de le vouloir. Elle s'abstint donc.

Elle ne savait vraiment pas quoi penser. Après tout, le mieux était peut-être de repartir à zéro. Enfin, lorsqu'elle aurait fini de bouder, s'entend. Elle lui parlerait comme si de rien n'était. Comme si il était un pote de primaire qu'elle venait de retrouver. Même si, dans un sens, elle n'agissait absolument pas comme ça lorsqu'elle rencontrait un ami d'enfance. Déjà, elle ne se souvenait pas d'eux, se demandaient parfois si ils existaient. Ensuite... Aidan. Il en faisait partie, et elle était... terriblement attachée à lui à la suite de ce qu'il lui avait révélé sur son enfance. Anise soupira en pensant à la tombe de ses parents qu'elle n'avait pas fleuri depuis un très long moment, et reporta finalement son attention sur Declan.

▬ Alors... Qu'est-ce que tu deviens ?

Voila, fini de faire la gamine, fini de bouder. La jeune fille s'approcha légèrement du jeune homme, jusqu'à se retrouver à une distance respectable de lui, assez pour pouvoir l'entendre mais également pour ne pas être trop près. Du moins, elle savait que l'attrait pour les filles de Declan n'avait pas faibli, voir s'était même aggrandi. Rien qu'à le voir la draguer dans le bar en ignorant qui elle était, quelques minutes plus tard... Elle hésitait également à lui dévoiler son âge. Oh, non, et puis, de toute façon, il s'en foutait, il était complètement passé à autre chose. Il ne servait à rien de remonter les vieux démons du passé. Pour l'instant, du moins.

Un fin sourire éclaira le visage d'Anise alors que son interlocuteur s'excusait platement pour sa comparaison stupide avec une bière. Au moins, il s'excusait. Ou du moins, il prenait la responsabilité pour sa faute. Faute avouée, à demi pardonnée, n'est-ce pas ? Elle lui pardonnait sans conteste.

▬ Sinon , eh bien j'ai la même vie qu'avant. Quelques aventures par là. Mais jamais comme ... Enfin , tu sais , comme là nôtre. J'avais bien aimé ces 2 semaines.

Le sourire d'Anise s'élargit alors qu'elle posait un regard timide sur Declan. Il l'avouait. Comme ça, sans qu'elle n'ai rien à demander, il se grillait tout seul. Il n'avait pas tenu bien longtemps, mais ce n'était pas pour déplaire à la jeune fille, qui se mit à nouveau à rougir. Foutue timidité ! Elle ne s'en débarasserait jamais. L'alcool ne semblait plus aussi puissant que quelques minutes auparavant. Néanmoins, elle osa prononcer quelques mots à son tour, dans une réponse qu'il n'avait pas demandé mais qu'elle souhaitait tout de même lui donner.

▬ Moi aussi... J'ai bien aimé ces deux semaines.

Si elle les avaient aimées ? Elle les avait adorées, elle en avait rêvé des mois plus tard, mais s'était malheureusement faite une raison dès son départ : elle avait dix-sept ans, il en avait vingt-quatre. Il vivait à l'autre bout du pays, n'accepterait jamais leur différence d'âge. Et il était terriblement volage ; et elle, terriblement jalouse. Ils étaient tout simplement incompatibles, et elle s'en était convaincue avec les années. Elle s'était finalement dit que le plus important était de garder de bons souvenirs de chaque passage pour pouvoir profiter toute sa vie de quelque chose qui aura mal tourné. Et pourtant, eux, ils tournaient, tournaient, et venaient même de se retrouver.

▬ Tu sais, quand je disais que tu n'avais pas changé , je me trompais . Tu es toujours aussi be .. Tu me semble plutôt beaucoup moins timide .

Anise tourna brusquement la tête. Avait-elle bien entendu le début de sa phrase ? Elle devait savoir... Juste cette fois, savoir si elle avait bien entendu. Elle plongea son regard dans celui de Declan, dans ses yeux d'un bleu envoûtant, et elle analysa ses pensées. L'opération dura à peine une seconde avant qu'elle ne trouve ce qu'elle cherchait : ce mot qu'il n'avait osé terminer. Aussitôt trouvé, elle sortit immédiatement de l'esprit de son interlocuteur et baissa les yeux, terriblement flattée. Elle ne put s'empêcher de réitérer l'opération, pour y pécher qu'elle lui faisait de l'effet. Cette fois, c'en fut presque trop, et elle pensa bien que sa mâchoire allait se détacher tellement elle souriait. Elle avait baissé la tête pour le cacher, et ne réussit à articuler que quelques mots.

▬ Merci... Je crois que c'est l'alcool qui fait ça. Et d'ailleurs, en parlant de ça...

Elle agrippa sans prévenir le pull de Declan et l'entraîna par la manche dans une minuscule supérette qu'il n'avait sûrement même pas dû remarquer. Anise connaissait New York comme sa poche. Ce commerce n'y échappait pas. Ils n'y restèrent qu'un instant, le temps de faire quelques provisions. Ils prirent plusieurs alcools plus ou moins forts, dont une bière pour Declan qui n'avait pu finir la sienne. La fameuse bière ! Anise, quant à elle, s'était d'abord décidée pour du malibu avant de porter son choix sur un cocktail très alcoolisé, préfait et terriblement fruité. Ils ressortirent, et ce ne fut qu'à ce moment qu'Anise remarqua n'avoir pas lâché le bras de Declan depuis qu'ils étaient entrés dans le magasin. Elle le retira doucement, soudain timide, et avala presque la moitié de la bouteille qu'elle venait d'acheter pour se départir de sa gêne.

▬ Bon... Je ne sais pas où tu veux aller maintenant. Il y a des parcs un peu partout si tu veux t'asseoir, ou.. Le pont de Brooklyn est à une vingtaine de blocs, si tu préfères marcher. Il est encore trop tôt pour que les boites de nuit soient ouvertes, elles le seront dans... deux ou trois heures, j'imagine. Je n'y vais jamais. Mais...

Elle hésitait, ne savait pas comment le dire. Comment formuler sa question sans que cela paraisse trop intéressé. Car, bien qu'elle adorait savoir que Declan tenait à elle, elle serait extrêmement gênée qu'il sache qu'il en était de même pour elle.

▬ Mais ce n'est pas moi qui suis de passage à New York ! Dis-moi ce que tu veux, je suis ton guide pour cette nuit.

Elle espérait qu'il lui dise qu'il comptait rester à New York, qu'il avait oublié San Francisco et la vie qu'il s'y était construite, mais elle ne se faisait pas beaucoup d'espoir. Quoiqu'il en soit, elle avait tenté d'engager la conversation sur ce point, histoire qu'elle arrête de se faire autant de films. Elle tendit son cocktail à Declan pour qu'il en prenne une gorgée, silencieusement, un petit sourire sur ses lèvres. Son regard dériva sur la bière qu'il tenait : heureusement qu'ils n'en avaient acheté qu'une, elle sentait qu'elle allait détester toutes les bières qui approcheraient désormais Declan.

Un parc, donc. Anise tourna sur elle-même, se provoquant le tournis à elle-même, et indiqua la direction qui lui semblait être la bonne. Elle avançait d'un pas décidé, peut-être un peu trop, mais marchait de telle sorte qu'elle soit toujours à côté de Declan. Elle l'écouta attentivement parler lorsqu'il aborda son "passage" à New York, qui n'était pas tant que ça un simple passage.

▬ Heum , tu sais . J'habite ici maintenant . Je ne compte pas repartir à San Fransisco . Enfin par pour maintenant . Je me plais ici , et rien ne m'empêche de rester.

Un large sourire éclaira le visage d'Anise et, cette fois, elle ne s'en cacha pas et l'afficha clairement à Declan, qui fit de même. Il était vraiment beau lorsqu'il souriait... Elle allait se perdre dans sa contemplation, mais se reprit rapidement. Il lui fallait presque toute sa concentration pour marcher droit, mais elle repéra rapidement le parc auquel elle pensait. L'un de ses parcs préférés. La jeune fille s'activa soudain, agrippa cette fois la main de Declan et l'entraîna à l'entrée du parc, puis à l'intérieur.

▬ Bienvenue au paradis...

C'était un endroit qu'Anise qualifiait de féérique. Elle l'adorait. De gros arbres entouraient complètement le parc, si bien qu'on ne voyait aucun des buildings environnants. Il y avait des fleurs de toutes les couleurs, des plantes de toutes les sortes, des arbres de toutes les tailles, qui se cotoyaient. De petites lumières fluorescentes avaient été installées un peu partout, si bien que l'on avait l'impression d'être dans une autre galaxie. Le parc était vide. Anise but une longue gorgée de sa bouteille, puis une autre, jusqu'à presque la finir, puis elle se tourna vers Declan et leva ses yeux chocolats sur lui.

▬ Je suis contente que tu restes à New York.

Elle lui lança un sourire timide, un regard pétillant, avant de lâcher sa main pour aller s'allonger dans l'herbe, en plein milieu du parc. De là, elle pouvait voir des centaines d'étoiles ; et aucun immeuble pour gâcher la vue. Ce parc était un paradis et elle n'y avait passé que trop de nuits pour le savoir. Peu de personnes en connaissaient l'existence, mais ce n'était pas pour déplaire à Anise qui adorait s'approprier les lieux publics. Elle redressa la tête et sourit sincèrement à Declan.

▬ Qu'est-ce que tu attends, viens ! La vue est magnifique.

Malicieuse et enfantine, voila comment l'alcool la transformait. Cependant, alors qu'elle se demandait quelles seraient les conséquences de ses actes, elle se rendit compte que ça lui importait peu. Elle voulait juste profiter de l'instant présent. Être celle qu'elle ne pourrait jamais être à part cette nuit, avec Declan. Son premier amour. Sa première fois. Elle rougit rien que d'y repenser. Elle le lui avait avoué, et il avait été étonné, à l'époque. On n'était plus vierge à 19 ans, en 2210. Mais il n'avait pas douté une seule seconde d'elle. Néanmoins, elle ne lui avait jamais menti. Jamais elle ne lui avait dit avoir dix-neuf ans. Elle n'avait juste... jamais mentionné en avoir dix-sept. Elle chassa ces vilaines pensées de son esprit et se concentra sur les étoiles, fermant les yeux, appréciant chaque bouffée de vent, le pull de Declan sur les épaules, rempli de son parfum, attendant de sentir la présence du jeune homme à côté d'elle.

Enfin, lorsqu'Anise sentit le jeune homme s'allonger à côté d'elle, elle se détendit. Sa présence le rassurait, comme elle l'avait rassurée deux ans auparavant, alors qu'elle était seule, perdue et désorientée. Declan avait alors débarqué de nulle part, lui avait offert un bout de paradis et s'était enfui comme il était venu. Retour à la case départ. Soudain, elle sentit les doigts du jeune homme parcourir son visage, et se figea instantanément. Des frissons parcoururent toute sa peau mais elle n'osa ouvrir les yeux, se contentant de profiter de l'instant.

▬ Voilà, c'est mieux comme ça !

Elle devait être complètement rouge, mais un petit sourire avait pris possession de ses lèvres et ne semblait pas vouloir la quitter.

▬ Merci...

Sans qu'elle ne fasse rien, un flash vint envahir son esprit. Declan pensait beaucoup trop fort. Elle se revit, adossée au balcon d'une chambre d'hôtel somptueuse, alors qu'il la rejoignait. Elle se voyait avec les yeux de Declan. Et elle n'avait jamais été aussi jolie. Elle fut frappée par cette évidence. Il entourait sa taille fine de son bras musclé, déposait un baiser au creux de sa nuque. La serrait de toutes ses forces, et pourtant ça ne semblait pas assez, ni pour lui, ni pour elle. Elle revint brusquement à la réalité, interpellée par les paroles de Declan.

▬ Au fait , tu fais quoi de ta vie maintenant ? ..

Anise tourna la tête vers Declan, réfléchissant un instant à sa question. Sa vie avait tellement changée... Elle-même ne savait pas ce qu'elle en faisait. Elle laissait simplement les évènement se dérouler d'eux-mêmes et suivait le mouvement tant qu'elle pouvait. Pour le moment, elle pensait bien s'en sortir.

▬ Hm... J'ai pas mal déménagé depuis deux ans, et maintenant je vis à Brooklyn. J'étudie la littérature, et... c'est tout. Ma vie n'est qu'une terrible routine, finit-elle sur le ton de la rigolade.

Elle s'abstint de notifier qu'elle ne vivait pas seule dans son appartement de Brooklyn. Elle y vivait avec Ezékiel « Zéké » Wood. Mais peu importait : ce n'était pas si comme Zéké et elle avaient un passé sulfureux ou une aventure passionnée. Il était comme un frère pour elle, et plus que ça, un véritable mentor. Quant à la littérature... Elle s'y était résolue, en prenant l'option musique. Les livres l'attiraient plus que tout au monde, et elle n'avait su pourquoi que peu de temps auparavant. Petite, elle avait été une grande adepte des pièces de théâtre. Lorsqu'Aidan lui avait dévoilé son penchant, qui avait d'ailleurs souvent rendu perplexe le petit garçon qu'il était alors, tout s'était éclairé dans l'esprit d'Anise. Voila pourquoi elle se trouvait dans un théâtre, avec ses parents, lorsque ces derniers lui avaient été enlevés par un incendie dévastateur. Elle s'était d'abord blâmée et détestée, mais que pouvait-elle finalement y faire ? Ses parents l'avaient aimée de toutes leurs forces, et étaient même morts pour elle. Elle se devait de respecter leur sacrifice, et leur rendre en pensée tout l'amour qu'ils lui avaient communiqué de leur vivant.

▬ Si je te disais que j'avais envie de t'embrasser au lieu de discuter, tu me traiterais de fou ?

Anise releva brusquement la tête, fixant Declan les yeux ronds et terriblement étonnés. Celle-là, elle ne l'avait absolument pas vue venir. L'embrasser ? Elle se souvenait parfaitement de ses baisers. De leur passion. Elle avait l'impression de se consumer à chaque fois qu'il scellait leurs lèvres. Elle se redressa sur ses coudes, toujours aussi étonnée et sans quitter Declan du regard, quand il renchérit brusquement.

▬ Oh Attend. Je suis vraiment idiot. Je crois que l'alcool commence vraiment à faire effet.

Anise ne lui laissa pas le temps d'y penser plus. Se redressant complètement, elle fut d'une rapidité déconcertante mais d'une précision de chirurgien. Ses lèvres atterrirent pile sur celles de Declan alors qu'elle osait l'embrasser. Dans ce baiser, on pouvait ressentir toujours cette pointe de timidité, mais une passion décuplée par l'alcool qu'Anise n'avait pas connu depuis bien longtemps. L'une de ses mains vint se loger dans la nuque de Declan alors qu'elle approfondissait d'elle-même le baiser. Des dizaines de souvenirs envahissaient son esprit alors qu'elle se laissait complètement aller, lorsqu'elle le repoussa brutalement. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne pouvait pas se risquer à ... aller plus loin sans lui dévoiler ce qu'elle lui avait toujours caché. Jusqu'à présent, ce détail n'avait jamais importuné Anise, qui ne le mentionnait jamais. Mais là... C'était différent. Elle baissa les yeux, inspirant profondément pour se donner le courage de lever le regard vers Declan qui ne devait pas comprendre.

▬ Declan, je... Je ne t'ai pas tout dit. A l'époque, ça m'importait peu, que tu saches ou pas, je n'avais... je n'avais rien d'autre que toi, je pouvais être exactement celle que tu voulais, et j'avoue que ça me plaisait particulièrement. Mais maintenant... Beaucoup de choses ont changé dans ma vie, j'ai moi-même changé, tu l'as remarqué toi-même.

Allait-elle réussir à le lui dire ? Elle se bénit d'avoir terminé la bouteille de ce cocktail étrange qu'elle s'était acheté plus tôt. Jamais elle n'avait sorti une phrase aussi longue et aussi sérieuse à quelqu'un. Et elle était prête à continuer. Maintenant qu'elle avait lâché la bombe, elle devait la laisser exploser.

▬ Je vis à Brooklyn avec mon tuteur, Ezékiel. Et si il m'a adopté alors qu'il n'a que vingt-deux ans, c'est parce que... C'est parce que moi, j'en ai dix-neuf. Je sais que tu en a vingt-six maintenant, et même si je fais des études littéraires, je sais que le nombre d'années qui nous sépare est immense. Quand... Quand on a « joué », il y a deux ans, j'étais mineure. Mais complètement consentante, si ça peut te rassurer. Je veux dire, je ne porterais pas plainte contre toi, j'étais... Je...

Elle sembla chercher ses mots un instant, et lutta grandement pour les sortir. Exposer ses sentiments n'était vraiment pas le fort de cette jeune fille qui s'était créée une carapace en acier pour éviter de s'attacher aux gens comme elle l'avait fait avec Declan, deux ans auparavant.

▬ Je ne regrette aucun moment du jeu.

Elle lança un regard à la dérobée à Declan, derrière cette mèche blonde qui lui barrait toujours la vue et que toutes ses amies rêvaient de couper, avant de baisser à nouveau les yeux. Elle se mordit violemment la lèvre inférieure, comme à chaque fois qu'elle se trouvait dans une situation où elle était fautive.

Comme Anise s'y était attendue, Declan ne réagissait pas bien à l'annonce de la jeune fille. En même temps, elle le comprenait. Est-ce que c'était comparable à l'hypothèse qu'elle se tape un garçon de... douze ans ? Hm, elle ne préférait même pas imaginer cette éventualité. Néanmoins, bien que beaucoup pensent que dix-neuf ans était un ange encore enfantin, Anise pouvait faire preuve d'une vraie maturité d'adulte. Lorsqu'elle le voulait, s'entend. La jeune fille releva brusquement la tête en hochant les sourcils à l'entente des paroles de Declan. Un nouveau copain ? Mais de quoi est-ce qu'il parlait ?

▬ Zéké n'est pas mon copain ! Je viens de te dire que c'était mon tuteur ! Il a ma garde ! Il est comme un frère pour moi, c'est... il m'est impossible de m'imaginer être plus que ça avec lui, vraiment, c'est... c'est comme être avec son frère, exactement !

Et puis, il aborda le sujet de son âge. Cette fois-ci, elle ne pouvait pas contester, elle était complètement fautive. Il s'inquiétait pour la prison qu'il risquait. Alors, il ne l'écoutait vraiment pas ? Il était vrai qu'elle avait peut-être parlé trop rapidement, prise dans la fougue de son aveu, mais tout de même...

Lorsqu'il eut terminé son discours, Anise resta silencieuse un long moment, à mettre ses idées en place pour lui expliquer clairement la situation. Elle ne voulait pas le brusquer ; et absolument pas le faire fuir. Elle devait peser chacun de ses mots, en analyser chacun des aspects pour qu'ils pèsent chacun dans son esprit et lui fasse comprendre le but de sa démarche.

▬ Declan, tu penses vraiment que je serais capable d'aller voir les flics pour te dénoncer ? J'étais consentante ! Et tu le sais parfaitement, tu étais là et tu as vécu exactement la même chose que moi.

Elle soupira, reprit sa respiration. Finalement, elle lança un regard désolé au jeune homme en continuant son monologue.

▬ Si je ne t'ai rien dit à l'époque, c'est justement parce que je savais que tu aurais cette réaction. Et, que tu l'ai, ça aurait été parfaitement compréhensible. Mais... Declan, je voulais juste être avec toi ! Ose me dire que tu aurais préféré connaître mon âge et me rejeter plutôt que de l'ignorer et d'avoir passé deux semaines fantastiques. Et puis, tu es parti ! Alors j'ai pensé qu'il était préférable que tu ignores tout, puisque de toute façon nous n'étions, à ce moment, pas destinés à nous revoir.

Anise se leva brusquement, bien qu'elle soit beaucoup plut petite que Declan. Elle s'approcha de lui, tellement proche que leurs vêtements produisaient un léger bruit en s'effleurant, et elle prit l'une de ses mains dans les siennes. Elle baissa la tête, se mordit la lèvre inférieure, la releva. Finalement, Anise plongea son regard dans celui de Declan. Ces dernières paroles devaient rester ancrées dans l'esprit du jeune homme.

▬ Mais si je te le dis aujourd'hui, Declan, c'est parce que... Je ne veux pas que tu me prennes pour quelqu'un que je ne suis pas. J'ai dix-neuf ans, mais finalement qu'est-ce que ça représente ? J'ai passé la seconde moitié de ma vie à m'occuper de moi toute seule, que ce soit pour manger ou pour trouver un toit ou dormir. Je ne m'en vante absolument pas, mais j'ai connu des choses qui font mûrir d'un coup, et je n'ai pas tort en prétendant être plus âgée, psychologiquement.

Elle lâcha finalement la main du jeune homme, et prit une autre bouteille mystère dans le sac en plastique posé par terre. Encore un truc alcoolisé & fruité. Elle décapsula sa bouteille, dos à Declan, et prononça quelques dernières paroles.

▬ Néanmoins, si tu juges que le fait que j'ai occulté de te dévoiler mon âge il y a deux ans est trop important pour continuer cette soirée, je comprendrais. New York est une grande ville, si tu franchis les portes du parc dans deux minutes, tu peux être sûr qu'on ne se reverra jamais, à moins que le destin ne veuille vraiment s'acharner sur nous. Cependant...

Elle but une longue gorgée d'alcool et se tourna vers Declan, les joues roses et le regard brillant.

▬ Cependant, j'espère que tu ne passera pas ces portes.

Declan semblait s'être radouci à l'entente des explications d'Anise. Lorsqu'il aborda leur âge, cependant, elle ne trouva rien à y redire. Il était vrai que, lorsque l'on retirait les considérations passionnelles, la différence entre leurs deux années étaient bien trop importante pour être passée à l'as. Néanmoins, ce soir, Anise n'avait pas particulièrement envie d'y penser. Elle allait d'ailleurs faire part de cette requête à Declan quand il enchaîna sur ses secrets. Celle là, Anise ne l'avait absolument pas vue venir. Même les compliments qu'il avait prononcés avant ne furent pas suffisants pour empêcher Anise de se sentir coupable. Evidemment, qu'elle avait des secrets... Des secrets qu'il ne fallait pas déterrer. Des choses avec lesquelles elle devait vivre sans en avertir quique ce soit. Trop de personnes savaient déjà pour son don, mais toutes en possédaient un également. Et bien qu'elle sache que les Homo Idoneus étaient respectés, elle savait également qu'ils suscitaient également la crainte et la curiosité. Elle s'approcha de Declan, soudain sérieuse, trop peut-être. Elle ne voulait pas l'affoler, mais en même temps, il était inconcevable pour elle qu'elle dévoile cette part d'elle-même qu'elle avait parfois du mal à accepter.

▬ Declan, crois-moi, toutes les vérités ne sont pas toujours bonnes à dire. Ces secrets, je vis avec depuis toujours, et ça ne m'empêche pas d'avancer !

Tout ce qu'elle désirait lui faire comprendre en lui disant cela était qu'elle ne voulait pas se préoccuper de ça pour le moment. Son don lui avait déjà causé tant d'ennuis ! Quelques jours auparavant, encore, elle avait failli perdre l'une de ses meilleures amies en utilisant son don sur elle juste un instant. Heureusement, l'amie sus-dite avait rapidement trouvé une vengeance « made in June » en utilisant son propre don. Dans quelle galère elle avait été alors... Elle soupira, tentant de penser à autre chose, quand Declan détourna enfin la conversation vers un sujet qu'elle était capable de gérer.

▬ Je suis tout à toi cette nuit. Tu veux aller à un endroit ? N'importe où.

Anise se laissa complètement faire sous les mains et les lèvres expertes de Declan, retrouvant rapidement les réflexes de la jeune fille qu'elle avait été, avec lui, deux ans auparavant. Elle se détacha finalement de lui en réfléchissant à l'endroit où elle voulait aller, et une idée germa doucement dans son esprit alors qu'elle affichait un franc sourire.

▬ N'importe où, vraiment ? Que penses-tu de... San Francisco ? Tu me montrerais tout ce que j'ai manqué là-bas en n'y allant jamais...

Elle secoua rapidement la tête, indiquant que cette idée n'était qu'un prémice de ce qu'elle avait vraiment en tête. Elle s'approcha encore de Declan, posant encore une fois ses lèvres sur les siennes dans un chaste baiser qui s'intensifia rapidement, avant de se détacher à nouveau de lui.

▬ Ou alors... Cet hôtel où on est descendus, il y a deux ans, sur les côtes. Celui avec la vue à couper le souffle...

Anise ferma les yeux et se laissa envahir par ses souvenirs d'antan. A une époque, elle avait imaginé que sa première fois se ferait la nuit suivant son mariage, avec un homme d'affaires à qui il manquerait déjà des cheveux. Elle n'avait absolument pas été déçue de son sort, cependant. Dès le moment où le « processus » du « on-retire-nos-vêtements-le-plus-vite-possible » avait été enclenché, elle avait su qu'elle ne regretterait pas d'avoir offert ce cadeau à Declan. Finalement, la jeune fille prit les mains de Declan et s'affala par terre, l'entraînant avec lui, avant de rouler sur le côté pour se positionner contre lui, à califourchon. Ca n'avait duré que quelques secondes. Un sourire triomphant éclaira le visage d'Anise alors qu'elle reprit la parole.

▬ Mais je pense que finalement, là, je suis juste avec toi au milieu de la ville dans laquelle j'ai toujours vécu, dans un endroit irréel, et... Je crois que ça me suffit amplement.

Son sourire s'effaça doucement alors qu'elle plongeait lentement sur Declan, scellant encore une fois leurs lèvres dans un baiser passionné.

Anise se laissa guider par Declan jusqu'à un petit abri, qu'elle trouva légèrement délabré mais tout de même assez cosy. Et puis, ils étaient ensemble et voyaient toujours les étoiles, ce qui était au goût de la jeune fille bien amplement suffisant. Son pull devint bientôt un élément trop gênant pour Declan, qui ne tarda pas à le lui retirer en l'embrassant.

▬ Tu sais. Si tu as froid, tu peux simplement te coller à moi. Cette fois, je ne joue pas.

Une fois au sol, la jeune fille ne se fit pas prier. Elle fut rapidement complètement collée contre lui, bien que le froid ne fut pas sa première motivation. Elle se plaça ensuite à califourchon sur lui, plongeant sur lui pour gratifier son cou d'une multitudes de légers baisers, avant de remonter lentement sur son oreille dans laquelle elle murmura quelques mots.

▬ Pour moi non plus, ce n'est plus un jeu. Mais est-ce que ça en a jamais été un ?

Elle laissa ses mains se balader le long du torse de Declan, d'abord sur son tee-shirt et, lorsqu'elle arriva à sa mimite, elle passa ses mains en-dessous pour effectuer le chemin en sens inverse mais, cette fois, contre sa peau et en enlevant doucement cet obstacle. Comme pour anticiper une de ses plaintes sur l'éternel froideur — qu'elle sentait à peine pour sa part tellement sa peau était incandescente de désir —, elle se colla immédiatement contre lui. Petit à petit, la jeune fille reprenait ses repères, réapprenait le positionnement de chaque muscles de ce corps qu'elle avait tant connu auparavant. Et pourtant, ce n'était toujours pas assez. Son regard chercha celui de Declan, ses lèvres trouvèrent les siennes. Il lui semblait qu'il lui était impossible de satisfaire tout ce désir qu'elle avait contenu, ce manque qu'il avait provoqué en elle et qui s'était progressivement tu dans son coeur, jusqu'à ce qu'elle le revoit. Elle avait également la sensation d'être dans un autre monde, de basculer entre deux extrêmes, comme si son esprit lui disait que ce qu'elle vivait n'était qu'un simple rêve, la réalisation fictive d'un fantasme enfoui, alors que son corps lui criait qu'il n'y avait rien de plus vrai.

Ses lèvres se détachèrent finalement de celles de Declan alors qu'elle plongea son regard dans le sien, juste un instant, pour se prouver que son corps avait raison. Elle n'avait aucune idée de ce à quoi elle pouvait ressembler et de l'image qu'elle pouvait lui renvoyer à cet instant, mais s'en contrefoutait. Ses cheveux devaient être décoiffés, et elle sentait sa robe d'été remonter le long de ses cuisses. Peu importait ; en cet instant précis, elle était heureuse. Et elle ne donnerait sa place pour rien au monde.

Ses mains trouvèrent celles de Declan et les prit, les scellant. Enfin, elle les approcha de sa bouche et les embrassa, avant de les positionner sur ses hanches. Elle était légèrement tremblante, mais néanmoins pleine de conviction. Elle prit les poignets de Declan, les guida le long de sa taille, remontant sur son ventre, effleurant sa poitrine pour redescendre et retrouver leur place initiale.

▬ Tu m'as manqué, Declan. Vraiment. Et cette nuit, je t'appartiens complètement alors...

Elle lui lança un regard soudain timide ; ses émotions s'entrechoquaient dans son esprit et dans son coeur, elle ne savait plus comment agir. Néanmoins, elle se reprit rapidement. Il n'était pas temps d'être timide. Pas avec Declan.

▬ ... Alors montre moi qu'à toi aussi, je t'ai manqué.