En soirée, particulièrement avancée d’ailleurs, le jeune assistant se retrouva bien seul même si chaque nuit il avait pour coutume de dormir sur le clic clac en solitaire. Depuis plus d’un mois, ce petit appartement le logeant en bon résidant ne se voyait que plongé dans la pénombre des stores baissés et cela même durant la journée. Encore heureux, son colocataire si engageant en conversation restait à le fixer bêtement des ses orbites creux sans expression toute la journée. Une bien noble compagnie. Edgar, de son petit nom comme l’avait baptisé Kinaï, trouvait naturellement sa place à coté du téléviseur lui-même étant une source d’informations. D’une simple main apposée sur n’importe quel ossement du squelette recomposé et Trager revivait en direct la fin du monde. Du moins la fin de son camarade décédé ce qui en revenait du pareil au même. Il avait selon les derniers flashs fait un geste malheureux l’entrainant à sa perte subite. Il habitait un vieux pavillon aux semblants des images perçues qui allait, sans le savoir, être envahi par les eaux. Agé d’une soixantaine d’années à cette époque, ce petit retraité débonnaire aux cheveux grisés par le temps imposait respect et sagesse à quiconque le croisait du regard. Mais même toute cette vertu n’avait suffit à ce retraité pour trouver un moyen de sortir de sa cave lors du raz-de marée. Kinaï entendait, rugissant des souvenirs, le grondement lointain des flots déchainés.

Mais ce soir, Edgar conserverait ses secrets puisque le jeune homme en avait décidé autrement. Une sortie dans les quartiers chics, croiser quelques bourges au passage et se faire de nouvelles connaissances étaient au programme.
Peut-être même qu'il allait se faire un peu d’argent au détriment d’un naïf ignorant ses compétences extraordinaires en le piégeant. Quoi ? Le voler ? Nullement ! Cela restait un jeu avant tout et notre Robin des bois des temps modernes ne choisissaient ses proies qu’en fonction de leurs revenus. Ni femme, ni enfant. Quoique parfois certaines femmes le tentaient allègrement mais obtenir ce gage de leur part sachant qu’il allait systématiquement gagner lui donnait des remords. Avant de partir, blouson à l’épaule et légèrement échauffé aux vues de son air détendu, il passa le bras autour du cadavre et l’embrassa sur la joue.


Smack down ! Un flash le fit entrer une nouvelle fois dans la vie du vieux gripsou. Tant choqué par les cris d’Egdar qu’il fit un bond, lâchant son portefeuille malencontreusement sans s’en apercevoir.


Sur ce il quitta son modeste studio sans le moindre sous en poche direction Manahattan, un bar qu’il avait repéré tantôt sans y pénétrer. Un regard à l’intérieur et il repéra une silhouette, pas désagréable à regarder, accoudée au comptoir et d’une classe surprenante. * C'est mon jour de chance, mais pas le tien * Se dit-il en se frottant les mains, non content de pouvoir dépouiller une telle splendeur. Il s’approcha d’elle et s’asseya naturellement à ses cotés sans entamer la conversation ni la dévisager. Kinaï ne voulait pas passer pour l’un de ces guignols lourding du dimanche en quête d’une soirée très appréciée au fond d’un lit. Il était là pour son fric et rien d’autre.

Une chose particulière frappa le jeune homme. Cette femme, dont il n’osait pour le moment croiser le regard, venait de s’enfiler d’un trait son verre qui refoulait bigrement l’odeur d’alcool. Une ivrogne peut-être, ce qui le dérangea un instant venant de la part d’une jeune fille aussi resplendissante, ce dont il en avait seulement perçu de dos rappelons le. Il fut tout de même assez curieux pour lancer une œillade en coin à sa voisine et ramena prestement son regard sur ses mains, les joues blafardes d’une telle malchance. Ce nez aquilin, ces pommettes saillantes mais surtout ses yeux d’un bleu jais intense, inutile d’effleurer son verre pour la reconnaitre. Macey de son petit nom, une partisane de la lutte contre les êtres anormaux comme Kinaï, dotés de pouvoirs. Parfois l’étudiant se plaisait à croire qu’il ne s’agissait que de jalousie envers leurs dons inopinés mais même lui parfois, doutait des raisons de leur existence simplement parce qu’il n’avait jamais été prédit qu’un jour, l’homme se retrouve affublé de capacités supplémentaires. Trager était né avec cette malédiction et donc ne pouvait s’imaginer vivre sans.
Aussi il leva la main en direction du barman et commanda à son tour quelque chose qui parviendrait à le décontracter plus encore qu’il ne l’était déjà.


Il continua à fixer le mur d’en face sans broncher et de temps à autre visait le propriétaire du comptoir histoire de changer un peu de paysage. Allait-elle faire le premier pas ? Évidemment que non pensez vous ! Il était certain qu’elle faisait irrémédiablement partie de cette population féministe qui se laissait aguicher par le premier venu, des filles à la gâchette facile qui vous poignardaient lâchement une fois gain de cause obtenu. Des mantes religieuses, vipères acariâtres jouant de leur beauté et de la merveille de leur chant pour vous amadouer facilement. C'est ainsi que les voyait Trager depuis quelques temps. Il n’aurait jamais fait confiance à une telle créature et plus particulièrement à celle là qui faisait de surcroit partie de « La Décade ». Mais depuis qu’il avait inspecté son appartement lors d’une visite de courtoisie tout à fait voulue, il se sentait en position de force face à elle. Après tout, une femme seule contre un homme doublé d’un don. Que pouvait-elle bien faire mis à part demander de l'aide? Ce à quoi il ne songea pas, c’était que contrairement à ses attentes, Miss Lewis n’était pas la seule de son gang à côtoyer cette buvette et qu'un acte irréfléchi causerait sa perte. Il prit le verre qui fut déposé sous ses yeux et le porta à sa bouche, quelques gorgées dans l'estomac avant de le reposer et il se tourna vers elle.


C’était vrai qu’il était très difficile pour un homme d’adresser la parole à une femme de sa stature. D’une part parce qu’elle était son ennemi naturel, mais aussi parce qu’à tout moment pouvait surgir une main sur l’épaule de Trager lui rappelant que cette femme était déjà prise. Il reporta le bord de son verre à ses lèvres et gloussa stupidement en s'imaginant la réaction de cette dernière. Alors même qu'elle ne lui avait demandé de se présenter, il prit les devant.

Oups il n’en fallut pas d’avantage pour que Kinaï croise son regard une nouvelle fois, très surpris mais avant tout ravi qu’elle morde à l’hameçon. La connaitre, il ne demandait que çà ou du moins entrer dans un jeu, une manipulation afin de lui soutirer quelques informations alléchantes sur sa petite secte bien sympathique. Cependant rien qu’à l’intonation de sa voix elle lui parut bien pète sec si ce n’était sans ce charmant sourire qu’elle lui adressa comme pour adoucir le tout. Que n’avait-il pas raté cette nuit là lorsqu’elle se leva de son sommeil pour le déranger dans sa fouille minutieuse. Maquillée, elle était encore dix fois plus belle. Le seul hic était ce portefeuille qu’il avait trouvé dans l’une des commodes de son salon, une photo d’un mec à l’allure disgracieuse, les cheveux longs et une tronche à faire peur. Un véritable hippy en somme et quel manque de gout. Trager n’était pas un Dieu mais lui ressemblait à quelque chose. Sur le coup, il avait tout de même récupéré ce cliché afin de pouvoir reconnaitre plus tard cet homme, sans doute impliqué dans leurs magouilles de rebelles cinglés vu sa dégaine.

Le glaçon tournant au fond de son verre ne lui apportant aucun réconfort outres une petite distraction temporaire, il se décida aussi à jouir du succès du son entreprise en lui répondant. Ne jamais leur montrer que vous êtes à leur écoute sans quoi elles se sentent bien plus fortes et prennent l'avantage. Les femmes, un mystère bien plus complexe que cette évolution subite. Et encore un détail le chatouillait intérieurement, allait-il lui mentir sur sa profession ou dire la stricte vérité? Maintenant qu'il lui avait révélé son véritable nom, ça ne faisait plus grande importance. Un petit mensonge juste pour se faire mousser devant elle et encore, il ne ferait qu'enjoliver les faits exactes.


Dit avec beaucoup d’ironie, il ne voulait en rien la vexer. Avez-vous déjà vu un enseignant prendre une cuite dans un bar, seul, à plus de minuit et ceci en semaine ? Peut-être qu’elle n’y prêterait pas plus d’attention et continuerait dans sa lancée, à enchainer les verres comme elle était si bien partie pour le faire. Mais trêves de blabla, il fallait être rentable ce soir et commencer à la travailler au corps sans quoi il devrait faire la plonge pour payer sa petite descente. Il venait de s’apercevoir, une main à tâtons sur son blouson que sa poche était bien vide mais n’en prit nullement crainte pour autant. Kinaï était un bordélique assurément et ses affaires finissaient toujours, comme l’histoire et ses secrets, par refaire surface.



Il la regarda avec insistance en lui tendant la main afin de sceller ce gage mais surtout dans le but d’avoir un contact avec elle pour que son don puisse fonctionner. C’était mesquin de sa part, mais elle n’avait pas plus de valeurs elle non plus. Jouer avec ses gens là ne lui apportait donc aucun remord.

Il ouvrit grand les yeux lorsqu’il entendit les mots sortir de sa bouche. Elle était donc étudiante en plus. Bon avouons le qu’entre une centaine de visages à chaque heure d’amphithéâtre, il lui était difficile de se les remémorer tous un par un. Il aurait pourtant dû, car comment oublier une telle beauté ? Elle devait être mauvaise élève et se retrouver tout au fond sur les derniers gradins ce qui expliquerait pourquoi il ne l’avait pas vu jusque là durant l’un des cours d’histoire. Cette matière n’était peut-être même pas sa tasse de thé et elle devait éventuellement sécher ces cours plus particulièrement. Après tout, on ne leur apprenait que des idioties sur les Mayas et diverses épopées de l’avant 2012, ce qui en soi ne leur servait plus à rien à présent. Lui devait participer ou du moins accompagner et préparer chaque heure avec l’enseignant. Il assistait donc à tous les cours sur le coté de la salle et prenait note pour sa culture personnelle en attendant la fin patiemment. Si bien qu’il avait du passer pour un étudiant comme les autres. D’un coté il était piqué au vif qu’elle ne l’ai pas remarqué et d’un autre, se fondre dans la masse comme les autres le faisait se sentir accepté de tous. Un sentiment si peu ressentit depuis qu’il avait pris conscience de son don ou de sa malédiction, appelez çà comme vous le voulez.


Ce n’était pas réellement un mensonge. Il était aux premières loges pour reprendre la succession en cas de mauvaise surprise. Un accident était si vite arrivé et le Dr était âgé comme tous les précepteurs car qui de mieux que les plus anciens pouvaient enseigner aux plus jeunes ? Personne. Une promotion accompagnée d'une petite augmentation de salaire et Kinaï pourrait déménager dans un quartier plus attrayant que le centre de Brooklyn.

Il remarqua entre deux gorgées que le regard de son hôtesse vacillait sur lui mais plus particulièrement sur la limite que traçait son T-shirt avec sa peau. Que pouvait-elle bien observer ainsi. N’avait-elle jamais vu d’homme auparavant qu’il faille qu’elle le détaille ? Ah oui effectivement. Il comprit légèrement en retard le sujet de son attention et frôla de ses doigts son tatouage partiellement découvert. Un symbole asiatique ni plus n’y moins dont il avait trouvé la représentation parmi les anciens ouvrages sans en connaitre la signification avec certitude. Ce n’était qu’un signe, un dessin ni plus ni moins sans grande importance. Il n'était pas interdit d'en avoir un sur soi quoique la pratique était strictement contrôlée fautes des risques encourus.


Il en profita pour commander deux autres verres qu’il appela d’un geste adressé au barman et se rapprocha d'elle dans le but de lui serrer la main. Un contact qu'il voulu faire perdurer jusqu'à l'apparition d'un flash et elle y contribua pleinement en le dévisageant de son flamboyant regard azuré. Et Woo, il ferma les yeux pour admirer pleinement les images la concernant. Il la vit dans ce même appartement qu'il avait jadis visité, se préparer pour la soirée, mettre un temps fou à choisir cette robe parmi toutes celles de sa penderie. Ce qui s'avérait vraiment plaisant avec ce don, c'était qu'il n'y avait aucune censure, aucun blanc entre deux séquences. Je vous laisse imaginer la mine réjouie figée sur ses traits pendant qu'elle revêtait cette robe d'un rouge carmin. La suite fut nettement plus commune et passa plus rapidement mais étudiée avant tout autant d'intérêt, enfin avec presque autant d'intérêt.



Il lui lança un regard interrogateur, fier de lui d'avoir pu tourner aussi facilement sous forme de réflexions ses visions, lesquelles devaient rester aussi longtemps que possible un secret à ses yeux. Discrètement il lui lâcha la main comme si de rien n'était, la première étape étant un succès, du moins si elle reconnaissait sa défaite.